Comment savoir si on est amoureux ?
Le problème de départ
Au cours des séances de sociothérapie, il arrive fréquemment que des patient.es se demandent si elles ou ils sont amoureux ou amoureuses de leur partenaire, convaincu.es que la réponse à cette question leur permettra de prendre une décision ou d’agir.
Cette interrogation intervient dans deux grands types de situations :
- Lorsque la personne entretient depuis un certain temps une relation « chill », « sans prise de tête » (les fameuses « situationship »), fondée entre autres sur le partage de relations sexuelles mais sans impliquer d’engagement ou de projection dans l’avenir.
La personne se demande si elle est amoureuse et si elle doit en conséquence tenter de s’engager dans une relation de couple. - Lorsque la personne est en couple et s’interroge sur la pérennité de la relation : devrait-elle quitter son ou sa partenaire ?
La réponse à cette question débouche parfois sur des mises en couple qui produisent par la suite de nombreuses souffrances, ou au contraire précipitent des ruptures qui s’accompagnent d’émotions négatives telles que de la culpabilité, des regrets, du désespoir.
Autrement dit, dans ces situations, des décisions sont prises au nom de l’amour ou de l’absence d’amour et ces décisions perturbent la santé mentale. Les patient.es ont le sentiment de se heurter à une forme de fatalité. Elles et ils ont l’impression de ne pas pouvoir agir et d’être condamné.es à souffrir.
Dans ce cas, quelques éléments à garder en tête
- L’amour est un sentiment, c’est-à-dire un rapport à soi ou à autrui.
On a de l’amour pour quelqu’un.e ou pour soi (l’amitié, le mépris, la haine sont d’autres exemples de sentiments). - Le sentiment d’amour fait toujours l’objet d’une qualification : vous vous dîtes amoureux ou amoureuse ou bien quelqu’un.e d’autre que vous dit que vous êtes amoureux ou amoureuse.
- Généralement c’est parce que la personne suscite chez vous certaines émotions que vous en venez à vous dire amoureux ou amoureuse ou non (ou que les autres le disent pour vous).
- Et c’est souvent à cause des définitions de l’amour que les patient.es ont, qu’elles et ils souffrent.
Deux exemples pour illustrer
Après trois mois de « situationship » de relation sans étiquette, non-exclusive et sans engagement, avec Mathias, Lucile vient à la conclusion qu’elle est amoureuse de lui. Dès leur rencontre, Lucile a ressenti pour Mathias du désir et de l’admiration (parce qu’elle a l’impression qu’il est plus cultivé qu’elle). Lorsque je l’interroge sur ce qui l’a amenée à se dire amoureuse, Lucile explique qu’elle se sentait triste lorsqu’elle ne voyait pas Mathias pendant plusieurs jours d’affilée et qu’elle se sentait angoissée lorsque Mathias ne répondait pas à ses messages et qu’elle n’a pas de nouvelle de lui. Lucile et Mathias ont finalement entamé une relation de couple. Lorsque je rencontre Lucile, la relation dure depuis huit mois. Lucile est constamment angoissée, pleure plusieurs fois par jour et ne parvient plus à dormir car elle vit dans la peur que Mathias la quitte. Mathias lui répète régulièrement qu’il désire d’autres filles, refuse de « faire des plans » à l’avance car « ce n’est pas sûr qu’[ils] ser[ont] encore ensemble » et alterne des périodes de démonstration d’affection et de quête de fusion avec des périodes au cours desquelles il se montre froid, distant voire même parfois méchant.
Lucile se sent prisonnière car elle pense aimer Mathias.
Virginie et Guillaume se sont rencontré.es au cours de leurs études. Elle et il sont marié.es depuis quinze ans et ont deux enfants âgés de 12 et 8 ans. Depuis plusieurs années, Virginie ne ressent plus de désir pour son conjoint. Cette baisse de désir n’a pas été, dans les premiers temps, pour elle, un problème. Elle avait d’autres préoccupations (l’éducation de ses enfants, un projet immobilier) et s’entend par ailleurs très bien avec Guillaume. Tou.te.s deux sont d’accord sur « tout » : leurs pratiques de consommation, le planning des vacances et des week-ends, les personnes qu’elle et il déprécient ou au contraire apprécient. Cependant, au moment où je la rencontre cela fait plusieurs mois qu’elle problématise ce manque de désir pour son partenaire. En particulier depuis que, à la suite de son divorce, sa meilleure amie a rencontré un nouveau partenaire duquel elle se dit « éperdument amoureuse » et avec lequel « le sexe c’est vraiment la folie ». Lorsque je la rencontre Virginie s’interroge sur ses sentiments et réfléchit à la possibilité de quitter son conjoint.
Que voulez-vous que l’amour soit ?
C’est à vous de décider ce que vous souhaitez vivre comme type de relation amoureuse. Il n’y a pas de réponse universelle.
- Retour sur les deux exemples :
Dans le premier cas, Lucile associe l’amour à la combinaison d’émotions désir/admiration/jalousie/tristesse/angoisse.
Lucile pense aimer Mathias et reste engagée dans cette relation bien qu’elle souffre quotidiennement et que sa santé mentale se dégrade car elle interprète les émotions qu’il provoque chez elle comme de l’amour.
Dans le second cas, Virginie associe l’amour à la combinaison d’émotions tendresse/joie/sécurité/désir.
Virginie pense ne plus aimer Guillaume car elle ne ressent plus de désir mais se sent coupable et triste de le quitter alors qu’elle trouve par ailleurs son conjoint « parfait ».
- Quelques conseils
Prenez le temps de réfléchir à ce que vous jugez être constitutif de l’amour, ne laissez pas les représentations culturelles ou les autres décider à votre place.
Prenez également le temps de réfléchir aux raisons pour lesquelles ces émotions sont pour vous constitutives de l’amour. Certaines conceptions de l’amour sont héritées des relations dysfonctionnelles nouées dans la petite enfance avec les premières figures d’attachement (les parents, les frères et soeurs, les maîtres.sses etc.) ou bien des relations d’amitié dysfonctionnelles qui ont été importantes à l’adolescence ou encore des premières relations amoureuses qui se sont avérées être violentes. Or ces premières relations significatives mais problématiques conduisent à associer l’amour à la tristesse, l’angoisse, le dévouement, la violence…
Personne ne peut décider pour vous ce que doivent être vos relations amoureuses. Toutefois, si votre conception implique de subir des formes de violence (de vous sentir infériorisé.e, de vous sentir déstabilisé.e dans votre identité…), prenez le temps de réfléchir aux sources de cette violence : est-elle liée à des traumatismes passés ou est-elle liée aux comportements de votre partenaire ?
- Par exemple :
Votre partenaire apprécie consommer des stupéfiants lors de soirées festives et vous ne souhaitez pas faire de même. Vous vous sentez « nul.le », « bonnet de nuit », « ennuyeux ou ennuyeuse », « pas fun », « trop sérieux ou sérieuse ». Vous vous dévalorisez.
Votre sentiment d’infériorité est-il lié à des comportements de votre partenaire (elle ou il vous critique) ou est-il indépendant d’elle ou de lui (elle ou il ne vous critique pas voire même valorise votre manière d’être mais vous projetez des critiques que vous avez reçues par le passé de vos parents, grand-parents etc.).
À la place de la consommation de stupéfiants lors de soirées festives, on pourrait également prendre l’exemple de la lecture, des concerts, des jeux vidéos, du cinéma…
Si cette question est difficile pour vous n’hésitez pas à prendre rendez-vous, ma pratique de la sociothérapie vise spécifiquement à adresser ces types de questionnements.
J’espère que cet article vous aura apporté quelques pistes à la question de savoir comment on sait quand on est amoureux.