Découvrez comme peut naître et se manifester la dépendance affective…
L’histoire comme exemple de dépendance affective
- Basile
Basile est le troisième enfant et seul garçon de Marianne et Bertrand. Il a deux grandes sœurs jumelles et deux petites sœurs. Il a grandi à Paris dans un immense appartement du 16e arrondissement. Sa mère est enseignante de mathématiques dans un lycée privé et son père avocat en droit des affaires.
Dès son plus âge, Basile est introverti : il joue beaucoup tout seul et parle très peu, ne racontant rien de ses journées et passant la majeure partie de son temps plongé dans ses pensées. Il occupe également le rôle de confident de sa mère. Élevée par une tante après avoir été abandonnée par ses parents, Marianne a connu une jeunesse difficile. Elle conserve d’ailleurs encore les marques de ses scarifications et de ses deux tentatives de suicide.
Marianne rencontre Bertrand au mariage de sa meilleure amie. Elle tombe très rapidement enceinte et vit les premières années de ses filles sur un petit nuage, folle amoureuse de son conjoint. Lorsque les filles ont trois ans, elle apprend que Bertrand a une liaison avec une collaboratrice de son cabinet. Terrifiée à l’idée d’être quittée, elle évoque l’idée d’un nouvel enfant. Neuf mois plus tard naît Basile. Marianne investit intensément son rôle de mère, rassurée par la perspective de ne plus jamais être seule et emmène ainsi Basile partout où elle va. Elle s’installe d’autant plus dans son rôle de parent que Bertrand délaisse le sien, rentrant de plus en plus tard puis emménageant même la semaine dans un petit appartement près du parc Monceau au prétexte d’une affaire compliquée qui exige une présence au bureau jusqu’à une heure très tardive.
Les années passant, Basile déploie de plus en plus d’efforts pour se conformer aux attentes de sa mère, celle-ci devenant dans le même temps de plus en plus mélancolique et morose. À partir du collège, Basile trouve refuge dans les jeux vidéo et sort de moins en moins souvent – cela lui permet de rester dans l’appartement avec sa mère et de se divertir tout en ayant une vie sociale virtuelle.
- La rencontre
Basile poursuit ses études dans le lycée où sa mère enseigne puis décide de s’inscrire en prépa MP avant de rejoindre la licence 3 de mathématiques à l’université pour passer le CAPES. Après avoir obtenu son concours, il effectue sa première année de stage à Saint-Maur-des-Fossés. C’est dès lors dans le cadre professionnel qu’il fait la rencontre de Clara, qui débute elle aussi sa carrière en tant qu’enseignante d’espagnol.
- Clara
Clara est la fille de Justine, secrétaire médicale, et Éric, médecin généraliste. Elle a vécu toute son enfance à Rueil-Malmaison avec ses deux parents et son petit frère. Son père est très peu présent, accaparé par ses patients ainsi que par son engagement politique au niveau local – il est adjoint au maire durant deux mandats consécutifs. Sa mère s’occupe des tâches administratives et de la gestion matérielle du quotidien. Après la naissance de son fils toutefois, Justine fait une sévère dépression post-partum qui la conduit à consulter un psychiatre. Celui-ci lui prescrit des antidépresseurs et l’encourage à prendre du temps pour s’occuper d’elle. À partir de ce jour, Justine laisse les enfants à son mari tous les samedis après-midi et part de la maison. Lorsque l’un de ses enfants lui demandent ce qu’elle fait, elle répond sur la défensive que ça ne les regarde pas et qu’elle a le droit d’avoir une vie en dehors de son rôle de mère.
Dès son entrée au collège, Clara passe le maximum de temps avec ses copains et ses copines et s’arrange pour être le moins souvent chez elle, l’atmosphère étant tendue entre son frère très colérique et sa mère boudant un jour sur deux. À partir de la troisième, elle fume du cannabis et sort tous les week-end en soirée. En licence 3, l’une de ses amies fait un coma éthylique et risque de mourir. Cet événement fonctionne chez elle comme un choc émotionnel. Elle consulte un addictologue pour mettre un terme à sa consommation de stupéfiants et réguler sa consommation d’alcool puis décide de réorganiser sa vie. Elle s’inscrit à un cours de théâtre, consacre beaucoup de temps aux études et décide, poussée par l’une de ses professeures, de préparer l’agrégation d’espagnol. Elle l’obtient du premier coup et déménage de son ancienne colocation pour prendre un petit appartement, seule.
- La relation de Basile et Clara ou comment celle-ci fait elle naître uen dépendance affective
Au cours de la soirée de Noël, Basile se rapproche de Clara. Ivres, ils finissent la soirée ensemble. Au réveil, Clara lui demande immédiatement de partir car elle a un emploi du temps chargé et ne le recontacte pas des vacances. Basile hésite à lui envoyer un message mais renonce. À la rentrée de janvier, une galette des rois entre collègues est organisée. Basile saisit cette occasion pour faire davantage connaissance avec elle. De nouveau, ils partent de la soirée ensemble et dorment chez Clara, qui lui demande encore une fois de quitter les lieux au réveil. Une routine se met alors en place : tous les jeudis Basile passe la nuit chez Clara et part tôt pour donner son cours à 8h. Au bout de quelques semaines, Clara amorce une discussion : elle n’est pas disponible pour une relation sérieuse car son frère vient d’être diagnostiqué bipolaire. Elle passe beaucoup de temps à l’hôpital pour lui rendre visite et le soutenir. Basile accepte avec plaisir cette forme relationnelle. Les mois suivants, il lui dit chaque week-end qu’elle lui manque terriblement et l’invite chez lui aussi souvent que possible. Lorsqu’elle en parle à ses copines, Clara est mitigée : elle apprécie Basile mais n’est pas sûre de se projeter avec lui. Elle pense que leurs styles de vie sont incompatibles – il paraît être très casanier tandis qu’elle aime beaucoup visiter des expositions et faire des promenades urbaines. Et elle est de surcroît frustrée par leurs conversations : Basile parle très peu de lui et s’engouffre régulièrement dans des monologues sur la politique.
En avril, Clara annonce à Basile que son frère est sorti de l’hôpital et que son traitement est stabilisé. Clara est toujours incertaine quant au devenir de leur relation mais, sur les conseils d’une amie, elle décide de tenter de faire des activités ensemble pour voir. Quelques semaines plus tard, alors qu’elle le croise un mardi dans les couloirs du lycée, elle lui propose d’aller au cinéma en sortant des cours. Sans donner d’avantage d’explications, il répond ne pas être disponible.
Clara déprime toute la soirée. Elle réfléchit et déduit de la situation que Basile doit passer la soirée avec une autre femme et qu’elle-même est jalouse. Ce constat la conduit à formuler une seconde conclusion : en dépit de ses doutes, elle est amoureuse. Le jeudi suivant, Clara engage une conversation sur la nature de leur relation et lui propose d’être en couple. Basile émet des doutes sur la question de l’exclusivité mais finit par accepter. Le week-end suivant est le premier qu’ils passent entièrement ensemble jusqu’au dimanche en fin d’après-midi.
Clara et Basile finissent tous les deux en début d’après-midi le mardi. Le lundi soir, Clara envoie un message avec des séances de cinéma pour le lendemain. Mais une fois encore, Basile est déjà pris. Clara ne dort pas de la nuit et décide au matin d’éclaircir la situation en lui demandant s’il voit encore d’autres filles. Basile la rassure : il n’est jamais disponible le mardi car il se rend à un club poésie avec sa mère. Clara rit du malentendu et s’apaise instantanément.
Deux semaines après, Clara part en Bourgogne pour le week-end prolongé et propose à Basile de l’accompagner. Il la remercie mais décline car il est occupé le dimanche.
Clara part très angoissée sans comprendre ce qui la met dans un tel état. Après des heures de discussions avec ses ami.es, elle conclut qu’elle se sent insécurisée car elle a le sentiment de multiplier les propositions pour le voir tandis que lui ne fait aucun effort. Elle a l’impression de le forcer. Ils ne se parlent pas du début de la semaine et le jeudi, elle lui exprime son ressenti et lui demande s’il souhaite arrêter la relation. Il s’excuse et invoque une période chargée. Dimanche, par exemple, c’était l’anniversaire des jumelles.
Le dimanche suivant, Basile l’invite à goûter dans l’un de ses salons de thé préférés. Ils se donnent rendez-vous à 17h car Clara doit aider, en début d’après-midi, une copine à déménager. À 18h30, Basile annonce qu’il va payer car il doit rentrer. Clara reste seule à la table pour finir sa pâtisserie, déboussolée et un goût amer dans la bouche.
La relation se poursuit de cette façon jusqu’aux vacances d’été. À partir du 14 juillet, Basile reçoit un ami autrichien pour deux semaines et ne répond presque plus à Clara. Épuisée par des attaques de panique et des insomnies répétées, dénutrie, Clara lui envoie un texto pour rompre et contacte une psychologue pour entamer un suivi thérapeutique.
Retrouvez le deuxième épisode de l’histoire de Basile et Clara dans la prochaine fiction clinique !
Pourquoi cette relation n’a-t-elle pas fonctionné ? et pourquoi a-t-elle donné l’impression à Clara d’avoir fait l’expérience de dépendance affective ?
- Basile ne veut/peut pas se justifier lorsqu’il est indisponible.
Depuis son enfance, Basile manque d’autonomie, notamment parce que sa mère ayant, du fait de sa propre trajectoire de vie un schéma d’abandon, elle a vu dans son fils la solution pour ne plus jamais être seule. Basile s’est ainsi forgé un schéma de dépendance et d’incompétence : il s’estime incapable de se débrouiller dans la vie quotidienne sans l’aide ou l’aval de sa mère (c’est ce qui le conduit entre autres à exercer le même métier qu’elle).
Parallèlement, son père est absent la majeure partie du temps et ne s’occupe pas de ses enfants. Les seules fois où il dîne avec eux, il ne parle que de politique et de soirées mondaines à organiser. Basile a l’impression d’être insuffisamment intéressant aux yeux de Bertrand et souffre d’une carence affective.
Pour faire face à cette situation de sentiment d’incompétence et de carence affective, Basile a élaboré une stratégie précoce de soumission : il ne s’oppose jamais à sa famille et fait tout ce que ses parents lui demandent à la fois parce qu’il a peur du conflit et du rejet. C’est pourquoi, il est si souvent indisponible : il passe tous les mardis soir au club poésie avec sa mère, tous les dimanches soirs avec ses sœurs et peut, régulièrement être convié aux soirées organisée pour entretenir la carrière de son père.
Mais une telle stratégie de soumission fait courir à Basile le risque de voir son identité propre se dissoudre dans l’entité familiale. Pour se protéger, il adopte simultanément une seconde stratégie : celle du secret. Il ne donne aucune information concernant sa vie non seulement au sein de la cellule familiale mais aussi en dehors, toujours terrifié à l’idée d’être vampirisé par autrui.
C’est pourquoi, lorsque Clara lui fait des propositions, il ne justifie pas son refus. Il estime qu’il s’agit là de sa vie privée et qu’il n’a en aucun cas l’obligation de s’expliquer. Les quelques fois où Clara lui demande pourquoi il ne peut pas venir, il répond mais se sent mal à l’aise et juge sa partenaire trop intrusive, même s’il ne lui dit pas, afin d’éviter le conflit.
- Clara ne supporte pas les refus sans explications.
Clara a, pour sa part, grandi avec une mère qui a, de même que Basile, développé une stratégie de soumission couplée à une stratégie de secret. De fait, Justine a organisé sa vie en fonction de ses enfants – d’autant que son mari était absent. Après sa journée de travail, Justine s’occupait du repas, du bain, des devoirs et offrait un soutien émotionnel quand Clara ou son frère avaient eu une mauvaise note ou s’étaient fâchés avec un ami. Mais cette dévotion à son rôle de mère lui était insupportable : elle avait l’impression que ses enfants lui volaient sa vie d’adulte – un peu de la même manière que ses propres parents lui avaient volé son enfance. Aussi, lorsque Clara et son frère l’interrogeaient par exemple sur ce qu’elle faisait de son samedi après-midi, Justine se sentait attaquée et répondait avec agressivité que cela ne les regardait pas.
Du fait des réactions de Justine, Clara a grandi en s’identifiant à une personne souhaitant dévorer les autres, autrement dit à une agresseur.
Quand Basile décline ses propositions sans justification, elle se sent non seulement rejetée mais aussi coupable d’être intrusive et s’identifie, par remémoration inconsciente des réactions de sa mère, à un monstre. C’est pourquoi, ce type de situations lui est insupportable et suscite chez elle de l’anxiété ou des états dépressifs.
- Clara cherche à tout prix à se faire aimer par celui qui la rejette.
Au début de la relation, Clara est hésitante car elle trouve parfois les moments passés avec Basile ennuyeux et n’est pas sûre d’apprécier son style de vie. Si elle en vient à penser être amoureuse c’est parce qu’elle se sent mal quand Basile décline ses invitations. Comme elle ne comprend pas ses émotions, elle cherche à leur donner du sens en puisant dans le stock de représentations collectives disponibles : elle voit un homme qui lui dit ne pas être disponible sans donner davantage d’explications, cela doit être parce qu’il voit une autre femme et c’est sans doute pour cette raison qu’elle est si vulnérable.
C’est aussi à partir de ce moment-là qu’elle devient très fortement affectée par les comportements de Basile et développe une forme de dépendance affective : ses émotions sont quasi-entièrement déterminées par ce que fait et dit son partenaire. Car pour Clara, obtenir des preuves que Basile l’aime est une nécessité.
Le fait d’avoir été « rejetée » par Basile (ou de s’être sentie rejetée, mais il ne s’agit pas là seulement d’une sensation – de fait Basile a peur de ne plus exister s’il s’engage dans des relations impliquant une forte intimité) lui rappelle inconsciemment les fois où elle a été rejetée par sa mère qui, épuisée par ses tâches parentales et apeurée par la perspective de devenir dépendante de ses enfants, pouvait se montrer brusquement froide et indisponible affectivement. En tant que très jeune enfant, Clara percevait en cas de rejet de la part de sa mère une menace de mort – si ses principales figures d’attachement, en l’occurrence sa maman puisque son père est très peu présent, font défection, elle ne peut se débrouiller toute seule et risque de mourir. Ces souvenirs sont traumatiques au sens où ils ne sont pas inscrits dans sa mémoire biographique. Ainsi, dès lors qu’une situation rappelle ces expériences précoces de rejet, Clara ressent les mêmes émotions de peur, de panique et de détresse que celles qu’elle pouvait éprouver petite, quand bien même elle est aujourd’hui adulte et dispose de ressources. C’est comme si pour exister elle avait besoin d’être aimée par Basile. Un produit de la reviviscence.
Pour poursuivre vous pouvez lire l’histoire de Sacha et Calypso ou retrouver le feuilleton psycho-sociologue ainsi que cet article sur l’emprise amoureuse.
Si vous pensez être concerné.e par la problématique de la dépendance affective et que vous en souffrez, n’hésitez pas à réserver une consultation pour vous en libérer 🙂